7h20 :
J’arrive au boulot. Un détour par la pointeuse avant de me rendre au vestiaire pour laisser au placard mes vêtements « civiles » et enfiler ma blouse blanche l’espace de quelques heures.
7h30 :
J’entre dans un second vestiaire. Celui du bloc opératoire cette fois. Je troc ma tenue enfilée il y a moins de 5mn contre une tenue de schtroumpf, toute bleue, un affreux bonnet vert et un masque qui cache tout mon visage (top glamour).
7h40 :
J’intègre la salle d’opération qui m’a été dédiée pour la matinée. Enfin pas tout à fait. C’était pas moi à la base mais ce matin au programme il y a une petite puce de 22 mois. La collègue qui devait s’en occuper m’a demandé de la remplacer juste le temps de s’occuper de cette mistinguette. Elle ne se sent pas trop à l’aise avec les enfants et met donc en avant ma fibre maternelle plus développée. C’est donc avec plaisir que j’accepte.
Aujourd’hui c’est « Ophtalmologie ». La petite L vient chez nous pour un drainage des voies lacrymales. C’est par elle que le programme va commencer d’ailleurs. On essaye de toujours faire passer les enfants en premier parce que rester à jeûn pour un p’tit boud’chou c’est pas facile 😦
Je fais le tour de ma salle pour tout vérifier. Un enfant c’est du matériel particulier. Le chariot pédiatrique mobile regroupe tout le nécessaire en tailles miniatures.
Bon. Tout est ok. Il n’y a plus qu’à attendre que l’anesthésiste et le chirurgien soient là pour faire venir la poupette. Tout le monde est au garde à vous et attend le feu vert.
7h55 :
J’entends des exclamations dans le couloir menant à ma salle : « Oh tite puce ! », « Coucou ! », « Comme elle est belle ! » …
Mme l’anesthésiste entre avec la petite miss dans ses bras. Elle ne pleure pas. Elle observe.
Elle est toute mimi avec sa blouse coupée sur-mesure par les collègues du service ambulatoire et son bonnet dix fois trop grand qui lui tombe sur les yeux. Sur sa tétine il y a inscrit « Belle comme maman ». Je n’ai jamais vu la maman mais le chirurgien me dit qu’elle est jolie 😉
L n’est pas venue toute seule. Elle tient serré tout contre elle son doudou lapinou . Il a, lui aussi, eu droit à sa blouse, fabriquée dans les chutes de celle de sa petite maîtresse. Tout le monde s’extasie sur la jolie tenue de doudou lapinou (bien joué les filles de l’ambu !).
On fait visiter la salle d’opération à L . On lui montre la mer et les bateaux de l’autre côté de la fenêtre. On lui présente les gens présents dans la salle : « Coucou, elle c’est F, c’est une maman, moi aussi je suis une maman, et lui le docteur c’est un papa, tu vois, y a que des mamans et des papas ici« .
L’anesthésiste lui montre le joli ballon vert décoré d’un nounours dans lequel L va devoir respirer dans quelques minutes. Elle dépose doucement la puce sur la table d’opération. D’abord assise pour y aller en douceur.
Les yeux de L commencent à s’emplir d’inquiétude et elle commence à chouiner un peu.
On lui colle 3 petits patchs sur la poitrine pour surveiller son cœur et doudou lapinou a aussi droit au sien collé en plein milieu du bidon. C’est même lui qui commence à respirer dans le ballon-nounours pour montrer l’exemple à sa petite patronne. Brave doudou-lapinou :-).
On ferait volontiers durer ces instants plus longtemps mais voilà. Il y a un planning à respecter derrière alors à un moment, il faut y aller. Quoi que vous en pensiez, on a tous un cœur et des tripes et on aime pas du tout ça embêter les boud’choux.
En avant donc pour les 30 secondes les plus désagréables : endormir la princesse. Oui. 30 secondes. Pas plus.
L’anesthésiste nous fait allonger L sur la table. Ça ne lui plait pas du tout. Elle se met à pleurer et à se débattre.
Pendant qu’elle lui met le ballon-nounours devant le nez, je passe en mode « câlin forcé ». Je me colle à L pour maintenir ses bras et ses jambes. En même temps, je lui caresse le visage en lui murmurant des paroles rassurantes. Je lui dit que tout va bien, qu’elle va juste faire un petit dodo et qu’après elle ira vite retrouver sa maman. L’anesthésiste aussi lui caresse le front en lui répétant que tout va bien et qu’elle ne doit pas avoir peur. Avec les gaz anesthésiants, L se calme en quelques secondes et s’endort sous les caresses et les murmures. Une fois endormie, on lui place une petite « perfusion de sécurité » et le docteur commence à s’occuper d’elle.
L’intervention ne dure pas longtemps alors je me dépêche d’aller chercher dans le frigo les suppositoires de Dafalgan et de Nifluril nécessaires. C’est toujours mieux de commencer les antalgiques pendant le dodo. Les pitchounes sont déjà suffisamment désorientés quand ils se réveillent, manquerait plus qu’en plus ils aient mal.
8h30 :
L’intervention s’est bien passée.
L’anesthésiste réveille L et lui enlève le petit tuyau dans sa gorge.
La puce est encore dans les choux et continue à dormir.
L’infirmier de la salle de réveil arrive, prend la miss dans ses bras (sans oublier doudou-lapinou et la tétine) et l’emmène pour la surveiller.
Je le suis, comme accrochée par un cordon ombilical invisible.
L commence à émerger et s’énerve. Elle n’a pas mal, elle est simplement déphasée la pauvre minette.
J’essaye de gratter encore quelques minutes auprès d’elle. Une caresse, un bisou, une parole encore pendant qu’elle est câlinée par mes collègues.
Je sais qu’ils vont bien s’en occuper, comme des « parents poule », mais j’aimerais tellement rester avec elle et la remettre moi-même, toute sage et paisible, dans les bras de sa maman.
Je repars vers ma salle en jetant un dernier regard en arrière, comme pour vérifier que les autres « font bien » et m’assurer que la puce est entre de bonnes mains.
J’ai un petit pincement au cœur, je la regarde attendrie, je prends une profonde respiration … et je tourne les talons pour de bon. Je sais que quand je vais revenir tout à l’heure elle ne sera plus là mais au chaud contre le cœur de sa maman.
Comme d’habitude je demanderais « Elle est bien repartie la petite ? ». Comme d’habitude on me répondra que oui.
Alors je retourne travailler. Avec un petit M cette fois. Il a 5 ans.